Mois : juin 2021

Femmes en colère – Mathieu Menegaux

Comme au théâtre, tout va se jouer en quelques heures : unité de lieu, unité de temps, unité d’action.

Le lieu, c’est la Cour d’Assises de Rennes, où bien de se tenir un procès ultramédiatisé. Le temps, ce sont les quelques heures qui conduisent au verdict. Et l’action, ce sont ces délibérations invisibles qui scellent un destin, disent la justice peut-être, et resteront pour toujours secrètes.

Le rideau se lève après les débats, le défilé des témoins, les plaidoiries. Au moment où le public sort de la salle pour déambuler dans les couloirs, à attendre. Où l’accusée rejoint sa cellule, et n’a plus qu’à attendre et à se souvenir. Et où neuf hommes et femmes vont devoir décider ensemble. Est-elle coupable ? Et si oui, comment doit-elle être punie ?

Bien sûr, on pense au film Douze Hommes en Colère, qui met en scène des jurés après un procès, aux États-Unis. Mathieu Menegaux le sait bien, et il en joue, avec son titre d’abord, et en nous éclairant aussi sur le système judiciaire français. Ici, on ne refera pas le procès en examinant à nouveau les pièces à conviction. Les jurés ne pourront s’appuyer que sur ce qu’ils ont entendu, et les notes qu’ils auront prises. Ici, il y a bien des jurés tirés au sort (hommes ou femmes) mais seulement six, accompagnés de trois magistrats qui sont là pour leur connaissance de la loi.

Par la magie de la littérature, il va nous faire entrer dans leur tête, les connaître intimement, avec leur histoire, leurs doutes, leurs idéaux. Dans une tension qui ne fera que monter, dans le va et vient entre la salle des délibérés et la cellule de la prison de Rennes, où Mathilde Colignon attend.

On le sait dès le début : Mathilde Colignon a commis un acte horrible, barbare même, sans l’ombre d’un doute possible. Cet acte fait-il d’elle un monstre ? Peut-il avoir une justification ?

Les indices nous sont distillés petit à petit, et petit à petit l’histoire se recompose. On comprend vite qu’il s’agit de violences perpétrées par une femme, mais aussi de violence faite aux femmes, et que Mathilde Colignon est à la fois coupable et victime.

Faut-il comprendre son acte pour le juger ? Ou au contraire, refuser de le comprendre ? Quel est le rôle de la justice, finalement, condamner ou non, ou bien donner un exemple, envoyer un signe fort ? Et si oui, lequel ?

Les points de vue sont multiples, et Mathieu Menegaux ne nous en impose jamais aucun. Dans cette variété de regards et d’opinions, à chacun de se faire la sienne, librement.

C’est un livre tout en tension, qui se lit d’une traite, un livre qui marque… pour ne rien vous cacher, je l’ai fini il y a quelques temps déjà. Ces derniers mois ont été très chargés pour moi, et me laissaient bien peu d’énergie pour lire ou pour écrire sur le blog… et pourtant, ce roman m’a laissé un souvenir très net, même des semaines après. Au point que je n’ai eu besoin de le feuilleter que pour vérifier le lieu de la Cour d’Assises ou le nom de l’accusée.

Un livre aussi percutant que sa couverture… à conseiller, incontestablement.

Les Sept Morts d’Evelyn Hardcastle – Stuart Turton

Voici un livre qui, en plus d’avoir une sublime couverture, est tout à fait diabolique. Un manoir anglais, un mystère de famille, une fête de la haute société, un meurtre… tous les ingrédients sont là. Mais avec pourtant une originalité assez… unique (je dirais bien « une originalité très originale » mais ça ne voudrait rien dire… et pourtant, il est original de façon très originale ! :P).

L’éditeur nous annonce la couleur dès la quatrième de couverture : « Mixez Agatha Christie, Downton Abbey et Un jour sans fin… vous obtiendrez le roman le plus divertissant de l’année ».

Avec un tel menu, comment résister ? À force de le voir et le revoir sur les réseaux sociaux, j’ai craqué. Il était disponible par la bibliothèque, il suffisait de réserver… et de patienter. J’étais toute contente quand je l’ai vu arriver dans les livres mis de côté pour les lecteurs !

Évidemment, après autant d’attente, il y avait un vrai risque de déception. Et c’est peu dire que les premières pages m’ont déconcertée. La quatrième de couverture (toujours elle) posait pourtant des bases :

« Ce soir à 11 heures, Evelyn Hardcastle va être assassinée.
Qui, dans cette luxueuse demeure anglaise, a intérêt à la tuer ?
Aiden Bishop a quelques heures pour trouver l’identité de l’assassin et empêcher le meurtre.
Tant qu’il n’est pas parvenu à ses fins, il est condamné à revivre sans cesse la même journée.
Celle de la mort d’Evelyn Hardcastle. »

Dans les premières pages, nous découvrons ainsi le narrateur, et une femme est assassinée… sauf qu’elle est assassinée le matin, et pas dans une demeure anglaise mais dans la forêt.. et le narrateur ne s’appelle pas Aiden Bishop . D’ailleurs, la femme ne s’appelle pas Evelyn Hardcastle non plus.

Est-ce qu’on se serait trompé de livre ?

En plus, ce pauvre narrateur est totalement amnésique. Il ne sait pas ce qu’il fait là, ni même où il est, qui il est, qui sont les autres personnages… Pour nous guider dans une histoire compliquée, on pourrait imaginer mieux…

… mais bien sûr, tout ça est fait exprès. Les pièces sont en train de se mettre en place, rigoureusement, et tout va s’emboiter petit à petit pour faire apparaître une intrigue où il sera effectivement question d’une Evelyn Hardcastle et d’un Aiden Bishop (dans une luxueuse demeure anglaise) mais où surtout chaque petit détail compte, et tout s’assemble dans un formidable jeu d’esprit qui reste brillantissime jusqu’à la fin…

Je ne vous raconte pas (ce serait trop dommage) mais sachez juste que si je suis souvent déçue par les intrigues complexes, là, tout est parfait, sans défaut… et sans qu’on s’y perde (même si j’ai parfois vérifié en retournant quelques pages en arrière si, effectivement, tel personnage avait bien dit ou fait ceci ou cela… sans jamais prendre en défaut l’auteur !).

C’est donc à la fois un livre policier, un jeu d’énigme, et un roman qui s’appuie sur une histoire très réussie (parce que ça pourrait être une « histoire prétexte » à un jeu de virtuosité… mais non). J’ai adoré chacune de ses étapes. Et j’ai même pardonné au narrateur amnésique d’être amnésique. 😉

Gros coup de cœur donc, et dont la couverture est encore plus magnifique en poche (ce qui n’est pas peu dire !).